« Nous, les Leroy » de Florent Bernard

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“La famille voiture-bélier”

Après l’avoir appris à ses enfants Bastien et Loreleï, Sandrine annonce à Christophe son besoin de le quitter malgré vingt ans de vie commue. Pour préserver son mariage et la famille, celui-ci organise dans la nuit le week-end de la dernière chance.

Et voilà les quatre Leroy partis sur les routes de la France moche, celle des motels, zones commerciales et banlieues sans charme. Autant de lieux supposés rappeler des souvenirs romantiques à ce drôle de couple, dont la généalogie s’écrit en quelques messages laissés sur répondeur. Dans ce prologue bien pensé, l’insouciance des premiers émois fait progressivement place à la liste des courses usante et usée. Mais le road trip commence par une marche arrière ratée et se poursuit sur une même tendance. Là où la tribu passe, il y a casse. Lave-vaisselle, karaoké, bus et gueule de caricaturiste, rien ne leur échappe. Dans le genre boulet rouge, Christophe, interprété par José Garcia, est « champion du monde » ! Pas étonnant que l’émotive Sandrine bouillonne à l’intérieur, prenne le volant pour le mordre et finisse par renoncer à cet homme pénible, porteur d’une violence presque inquiétante. Témoins muets de ces scènes de ménage puériles, deux ados mal dans leur peau qui souhaiteraient juste que leurs vieux grandissent un peu.

Ce premier film aigre-doux tente de jongler entre instants graves et séquences comiques proches du sketch dans lesquelles surviennent les amis humoristes du réalisateur scénariste. Car c’est aussi son histoire qu’il tire de sa mémoire d’enfant du divorce, laissant Sardou, Lenorman ou Niagara chanter sa nostalgie. C’est parfois drôle, tendre, mais le plus souvent forcé, au point de vouloir faire monter quelques larmes avant la fin. L’on préfère celles de Charlotte Gainsbourg quand elle réalise que l’endroit le plus exotique dans lequel l’a emmenée son cher mari, c’était… le Futuroscope.

(6/10)

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« Daaaaaalí! » de Quentin Dupieux

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“L’insaisissable légèreté de l’être”

Dans une suite d’hôtel, Judith est nerveuse. La journaliste débutante attend avec impatience d’interviewer Salvador Dalí.

Comment saisir la personnalité multiple d’un artiste hors-norme ? L’insatiable Quentin Dupieux s’y essaie en faisant jouer le rôle àààààà six comédiens. L’illusion opère, même si Édouard Baer et Jonathan Cohen se démarquent vite de leurs confrères. Il suffit d’un changement de lieu, voire de plan, pour que le personnage moustachu à l’accent chantant change de visage. Autre tentative, appeler à la rescousse le maître du cinéma surréaliste, lui-même complice du fou peignant. Récit à tiroirs, rêves infinis, prêtre attablé ou sur un âne, fusil de chasse… autant de motifs propres à Luis Buñuel, évoqué précédemment déjà dans Incroyable, mais vrai. Tiens, voilà qu’il pleut des chiens andalous !

Le faux biopic avance ainsi masqué jonglant avec nos repères et quelques bons mots : « Ce que je supporte encore moins que les enfants, ce sont leurs dessins. » Au-delà de l’hommage appuyé, Daaaaaalí! est aussi une réflexion sur le temps qui passe et ce qui laisse derrière lui. S’il coule dans les montres molles entoilées, il s’étire à l’écran le long d’un interminable couloir, s’exprime par des bonds en avant ou des retours en arrière, se monte à l’envers dans certaines scènes avant de tourner en rond. 1 heure et 18 minutes qui en paraissent pourtant bien plus. Au final, que reste-t-il après la vieillesse, si ce n’est quelques os et de la cendre sur le bûcher des vanités ? Une œuvre.

Écrans et miroirs se multiplient dans une mise en abyme qui pourrait conduire à l’autoportrait. Dupieux s’écrit entre les lignes dans les yeux terrassés de Judith qui s’avoue incapable de tourner ce film et confesse vomir son reflet. Il se figure également dans l’absurdité créatrice et productive du maître espagnol. Mais au lieu de piquantes bacchantes, c’est derrière une barbe touffue que se dissimule le Français.

(6.5/10)

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« Et plus si affinités » de Olivier Ducray et Wilfried Méance

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“La fête des voisins”

Sophie a invité pour le repas les voisins du dessus, ce qui ne plaît guère à son mari Xavier. Il faut dire que les fréquents ébats nocturnes d’Adèle et Alban sont particulièrement bruyants. Et s’ils leur en parlaient ?

« L’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser. Et c’est bien en vain qu’on l’appelle, s’’il lui convient de refuser… », fredonne la flûte traversière qui introduit le film. De quoi faire chanter ce couple usé par la monotonie, confronté à deux jeunes libertins provoquant jalousie et envie. Alors que l’homme se sent vite menacé par le galant qui ose marquer son territoire en essayant le lit, la femme, en manque, ne dirait pas non à ce petit jeu sans conséquence pour réapprendre à s’amuser. Une fois la gêne passée grâce à quelques verres, valsent les échanges sur l’échangisme, l’exhibitionnisme, et le sexe en groupe. Entre la cuisine et les dépendances, la proposition indécente pourrait être amusante. Mais alors que le gigot brûle, l’alcool déshabille et laisse exhaler vulgarité, brutalité et révélations forcées. Le quatuor au diapason aurait mérité un scénario plus tenu qui s’exprimerait davantage sur une scène théâtrale.    

(6/10)

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« Il reste encore demain » (C’è ancora domani) de Paola Cortellesi

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“Lasciatemi cantare”

Dans le vieux Rome de 1945, Delia trime sans relâche pour les besoins de sa famille. En guise de réponse à son bonjour matinal, c’est une gifle qu’elle reçoit de son mari.

Voilà le film qui secoua une Italie bouleversée par les féminicides. Plus forte que Barbie, l’intrépide Paola Cortellesi s’installe devant et derrière la caméra pour nous conter une révolte silencieuse. Dans un noir et blanc artificiel, elle reconstitue une époque néoréaliste révolue, contrebalancée par des chansons pop plus modernes signifiant que la violence dénoncée n’est en rien résolue. Sous l’égide d’un père sévère, Ivano, l’époux mal-aimant, ne voit en sa femme qu’une boniche maladroite et bavarde qu’il convient de dresser à coups de poing. Ainsi, une séance punitive se transforme en pas de deux chorégraphié effaçant au fur et à mesure les marques laissées. De quoi susciter le malaise, si le dispositif fantaisiste ainsi mis en place est mal accepté, de même que les élans humoristiques semés pour détendre l’oppression atmosphérique. L’intrigue quelque peu mécanique pose un à un les jalons d’une émancipation, course d’obstacles face au mur du patriarcat. Quelques lires économisées, un GI rencontré, un amour passé, un mariage avorté, un décès caché et ce petit bout de papier qui pourrait tout changer. Curieusement, cette construction d’un récit commode aux multiples tiroirs fait penser au Fabuleux destin d’Amélie Poulain, les gnons en plus, les couleurs en moins. Pas étonnant que l’engagement recueille les suffrages du grand public, qu’un final bien dissimulé émeut en redonnant l’espoir à l’héroïne courage de retrouver sa voix.

(6.5/10)

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« Scandaleusement vôtre » (Wicked little letters) de Thea Sharrock

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“Juré, craché”

A Littlehampton, petite ville côtière de l’Angleterre, Edith Swan reçoit depuis quelque temps des lettres anonymes ordurières. Ses soupçons se portent sur sa voisine irlandaise Rose, connue pour ne pas avoir la langue dans sa poche.

Cette histoire plus vraie qu’il n’y paraît oppose la vieille fille bigote, asservie au père sévère, à la jeune veuve de guerre qui tente de garder pied pour sa fille à coup de boule et de blasphèmes. Ainsi criaillent les corneilles. L’opposition promet des étincelles, attisée par l’aisance naturelle de la reine Olivia Colman et de l’insoumise Jessie Buckley. Mais l’affaire, qui occupa avidement la presse à scandales de 1920, ronronne vite et se résoudrait en moins de deux si l’analyse graphologique avait été reconnue à l’époque. Certes, les échanges verbaux fatals aux esgourdes rougissantes fusent comme des flèches. Mais, pas si drôle et plus grave que prévu, le film, sous des airs inclusifs taisant d’autres réalités fâcheuses, fait le procès de l’oppression insensée du patriarcat puritain. Qu’on soit sainte, sorcière ou policière, le droit de la femme est de se taire. Il y a de quoi pousser quelques jurons !

(6/10)

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« Chien de la casse » de Jean-Baptiste Durand

Séances rattrapage

(Rattrapage) “Laisse béton”

Miralès et Damien, surnommé Dog, se connaissent depuis leurs douze ans. Inséparables, ils consument une amitié bâtie sur un pied d’inégalité. L’apparition d’Elsa va déstabiliser le duo.

Il y a le beau parleur qui fait le « bonhomme ». Grande gueule, il aime donner la leçon au mutique réservé. Caresses, reproches, menaces, et humiliations. Tel un maître tentant d’éduquer son chien. Mais quand celui-ci lui échappe, le cœur happé par les sentiments, c’est à se demander qui tire le plus fort sur la laisse.

Dans ce village du sud français, la meute enragée de pitbulls que l’on pouvait craindre rassemble des chiots dociles. Crocs de lait, ils tuent l’ennui comme ils le peuvent. Entre la Play et les barrettes de shit, on parle cuisine, littérature comparée en soutenant les aînés avec sincérité. Dans son rapport dominant-dominé, le « petit couple » s’échange aussi des vœux d’amour et de fidélité. La lame acérée des mots aurait suffi à notre bonheur, mais celle du couteau tranche comme un passage obligé.  

Dans ce premier film de valeur, se révèlent le phrasé de Raphaël Quenard – Monsieur Yannick –, le regard abattu de l’ourson Bajon, et l’assurance sensuelle de Galatéa Bellugi. Tous trois d’un naturel confondant représentent une mélancolique jeunesse, pleine de promesses.

(7/10)

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« Fremont » de Babak Jalali

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“Fortune cookies”

A Fremont, en Californie, Donya, jeune femme afghane, travaille dans une fabrique de biscuits chinois. Quand sa collègue âgée décède brutalement, c’est à elle qu’est confiée la rédaction des prédictions dissimulées dans les cookies. De quoi lui permettre de prendre son destin en main ?

Belle idée que de donner la possibilité à l’héroïne de décider de son avenir à travers la vertu symbolique des fameux petits gâteaux. Mais la friandise insipide imprègne un film manquant carrément de couleurs. Noir et blanc surfait, format carré et plans fixes étouffants, Babak Jalali joue la carte Jarmusch dans un univers rappelant la mélancolie plombée de Kaurismäki. Chez lui aussi chante le karaoké. La mutique Donya aurait pourtant beaucoup plus à dire sur son statut de réfugiée, elle qui à Kaboul aida l’armée américaine en tant que traductrice. Celle qui se compare à Croc-Blanc pour contenter un psy plus enclin à s’auto-analyser qu’à l’écouter, fait preuve d’une grande naïveté en acceptant un rendez-vous à l’aveugle loin de son patelin. Et ce n’est que quand un cerf rencontre un ours que l’histoire s’éclaircit enfin pour mieux se terminer.

(6/10)

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« La vie de ma mère » de Julien Carpentier

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“Changer l’eau des fleurs”

Pierre, fleuriste, commence à trouver son équilibre professionnel. Mais quand un appel inquiet de sa mémé lui annonce « qu’elle est revenue », c’est perturbé qu’il se précipite chez elle.

Attention mère agitée en vue et baignade à risque ! Judith, maniaco-dépressive, a échappé à la vigilance de ses gardiens. Excitation, cris, musique à fond, accès de colère et larmes valsent dans la cuisine à la recherche du couscoussier. Pas facile pour Pierre le curateur, contraint d’être plus flic que fils.

Sur le papier, il y a de quoi craindre le torrent mélodramatique annoncé d’un scénario prévisible. La flamboyante Agnès Jaoui n’hésite pas à bien marquer les débordements de son personnage. Face à elle, le flegmatique William Lebghill lui tient tête heureusement. Le duo parvient à s’accorder pour nous conter avec sensibilité cette histoire qui semble toucher au cœur Julien Carpentier. Dommage que sa réalisation – caméra chancelante, flou mal maîtrisé, coupes hasardeuses – ne soit pas à la hauteur de ses comédiens. Dans ce premier film, il fait néanmoins preuve de belles idées de mise en scène en renversant notamment certains clichés : deux silhouettes typées roulent dans la nuit noire au volant d’un fourgon pour… cueillir des palettes de fleurs. Car quand les mots manquent, un œillet rose suffit.

(6.5/10)

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« Making of » de Cédric Kahn

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“Coupez !”

Simon débute le tournage d’un nouveau film contant le sauvetage désespéré d’une usine par ses employés. Premières prises, premières galères.

Déterminé au volant de sa voiture bélier, Jim fonce dans le grillage pour l’exploser. Les gardes de la sécurité tentent d’arrêter le véhicule en le cernant. Sous une pluie battante, une nuée d’ouvriers en colère se jette sur eux. Leur objectif, reprendre à tout prix leur entreprise spoliée. Coupez ! Tout ça n’est que du cinéma.

Nous avions quitté Cédric Kahn au sommet, concentré sur le procès de Pierre Goldman, huis-clos à la mise en scène et à l’interprétation remarquables. Virage à 180 degrés qui, sur le papier, nous promettait une comédie méta sur les coulisses magiques du septième art. Caprices d’une star autolâtre – Jonathan Cohen plus Hanouna que jamais –, jeune première capable de lui faire de l’ombre, producteurs lâches et véreux, équipe dévouée, figurants investis, le cocktail aurait pu être une explosion d’humour caustique et bien senti confrontant la solitude du cinéaste-créateur et l’esprit collectif de sa brigade aux vicissitudes du système financier. Si l’on sourit parfois face aux péripéties endurées par Denis Podalydès, alter-ego du réalisateur, ses peines de cœur ralentissent l’action, tout comme l’histoire amoureuse entre l’héroïne et un cameraman plein d’avenir chargé du making of. L’ambiance espiègle espérée se dilue dans une « grisouille » douce-amère, mettant en parallèle le combat des prolétaires et celui de la troupe malmenée. Universelle est la lutte des classes. A l’image d’un Simon astreint par le budget, Cédric Kahn aurait gagné en efficacité en acceptant de sabrer son scénario.

(6/10)

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« Ciao-Ciao Bourbine » (Bon Schuur Ticino) de Peter Luisi

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“La suissitude”

Les Suisses ont voté et accepté contre toute attente l’initiative populiste « No bilingue ». Dorénavant, seul le français sera toléré en tant que langue nationale. De quoi déplaire à certains germanophones et italophones qui s’engagent dans la résistance.

Ah cette chère Helvétie ! Ses montagnes, ses lacs, ses banques, son chocolat, son pluralisme et sa démocratie directe. Un système envié qui donne le pouvoir au peuple auquel sont soumises les propositions les plus farfelues. Poussé à l’extrême, ce particularisme est à deux doigts de déclencher une guerre civile en ce symbole paisible de neutralité. Le jet d’eau de Genève est menacé par une vieille dame indigne. Le chef de gang tessinois se prend pour Fidel Castro et revendique l’indépendance de son territoire. Une bombe explose dans le saint tunnel du Gothard. Le franc local, valeur refuge internationale, dévisse. Le petit paradis est au bord du chaos.

L’autodérision assumée déride, mais peinera à faire rire au-delà des frontières. Elle ne camoufle pas les quelques faiblesses scénaristiques venant émousser une idée de départ plutôt astucieuse. Au-delà des déguisements endossés, on aurait aimé davantage de complicité entre le duo d’acteurs multilingue qui peine à dépasser l’effet comique du simple sketch. Mais il est vrai que c’est parce qu’ils ne se comprennent pas que les Suisses s’entendent si bien.

(6/10)

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