« Civil war » de Alex Garland

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“American nightmare”

L’Amérique d’aujourd’hui est en proie à une guerre civile. Des États sécessionnistes tentent de renverser le gouvernement. Malgré les risques, Lee Smith, une photojournaliste renommée, et trois acolytes partent pour Washington dans l’espoir d’obtenir un entretien exclusif avec le président controversé.

Les USA sont plus désunis que jamais. Négligeant les détails explicatifs, Alex Garland évoque l’association incongrue entre le Texas et la Californie partant à l’assaut du Capitole aux mains d’un régime autoritaire dont on ne sait pas grand-chose. Le commandant en chef en est certes à son troisième mandat. Il a démantelé le FBI, bombardé des civils et visé les médias. Les New-Yorkais ont soif. L’électricité manque et le dollar s’effondre. Dans ce chaos politique bascule tout un pays.  

Carrosseries abandonnées sur les voies d’accès, tentes pour camps de réfugiés, pilleurs pendus dans un tunnel de lavage, charniers à ciel ouvert. Dans ce voyage au bout de l’enfer, se maintiennent des bourgades hors du temps où promener son chien est encore possible… sous l’œil attentif de snipers. Les visions cauchemardesques, souvent impressionnantes, sont celles des films ou série d’anticipation qui ravissent les écrans. Sauf que l’ennemi n’est ni l’alien ni le zombie. Il vient d’ici, de l’intérieur : « Quel genre d’Américains êtes-vous ? » devient une question de vie ou de mort.

Témoins privilégiés en cette apocalypse, les reporters sont avides d’informer. Quatrième pouvoir, ils quêtent le scoop et la photo parfaite. Dans la voiture estampillée « Presse », les générations se côtoient, alliant la sagesse de l’aîné à l’immaturité de la jeunesse. Au milieu, Lee perd petit à petit foi en son métier, quand son binôme Joël ne bande que pour l’action. Dans la nuit noire, les étoiles filantes des roquettes lumineuses sont pour lui la promesse d’un feu d’artifice. Les caractères stéréotypés manquent de chair et peinent à susciter de l’empathie. Que l’on appuie sur le bouton d’une caméra, d’un appareil, ou sur la gâchette d’une arme, le mot anglais reste le même : « shoot ». 

Demeure l’effroi ressenti face à cette violence crue, réaliste et directe, sans sommation aucune. La chute de la Maison blanche devient traque à la Ben Laden. L’on sursaute à chaque impact prévoyant le passage de relais final d’une froideur extrême. Un goût de sang acide agite l’estomac pour atteindre la gorge. La fiction annonce souvent le pire. Espérons qu’en cette année électorale, elle puisse se tromper.   

(6.5/10)

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« A l’Ouest rien de nouveau » (Im Westen nichts neues) de Edward Berger

Séances rattrapage

(Rattrapage) “Boucherie chevaline”

Mai 1917, Paul et ses amis s’engagent enthousiastes dans l’armée allemande. Ils rêvent de conquérir Paris, mais c’est l’enfer des tranchées qui va les emporter.

Quoi de neuf sous le ciel européen en guerre ? Un point de vue germanique peut-être, sauf si les deux premières adaptations cinématographiques du roman du même nom sont connues. Cette jeunesse qui se réjouit d’aller au combat comme si elle partait en week-end et qui dédaigne de se questionner sur l’uniforme reçu étiqueté au nom d’un autre, déstabilise par sa naïveté, son ignorance. A l’abri dans leur palais, les généraux à l’égo renflé décideront de leur sort. C’est fou ce que l’on peut tuer d’hommes en un quart d’heure. Le récit est éprouvant, ne laissant aucun espoir aux héros de guerre ni aux spectateurs pris en otages. Une image esthétisante et des plans sophistiqués parachèvent ce long pensum qui n’épargnera personne.

(5/10)

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« La zone d’intérêt » (The zone of interest) de Jonathan Glazer

Critiques

“Le cri du silence”

En 1943, les Höss habitent une maison cossue dotée d’un beau jardin. Sous leurs fenêtres, les barbelés du camp de concentration. 

Avant l’image, il y a le son. Les cris d’oiseaux, une fureur métallique, des vocalises venues d’ailleurs. L’écran noir insiste comme dans le préambule du Ruban blanc de Michael Haneke. Dans la salle, des chuchotements s’élèvent pour contrer la gêne. Puis apparaît le soleil éclatant les blondes chevelures tressées et corps à demi-nus de cette famille au bord de l’eau. Si paisible semble l’existence. Le lendemain, après avoir reçu son cadeau d’anniversaire, le père, arborant un uniforme nazi, part au travail. A quelques mètres de là, le contre-champ révèle les miradors d’Auschwitz.   

En 2015, le Hongrois László Nemes nous entraînait dans les chambres à gaz en collant sa caméra au plus près de Saul, prisonnier juif du Sonderkommando chargé de les vider. Une épreuve de force. La zone d’intérêt pourrait être son pendant, Jonathan Glazer préférant filmer à l’extérieur sans pour autant taire l’immontrable. Alors que les hommes dissertent sur les améliorations à apporter aux rouages du système, les femmes s’agitent autour des vêtements récupérés et rient de ce diamant retrouvé dans un tube de dentifrice. Devant le miroir, l’impitoyable reine mère endosse un manteau de fourrure qu’elle n’a pas acheté. A part une doublure à recoudre, il est parfait. Dans le rôle, Sandra Hüller glace le sang. Anatomie du mal. Au dehors, les enfants se rafraîchissent dans la piscine alors qu’au loin la fumée du train avance. Une fois en chambre, ils jouent avec des dents. Dans ce paradis cerné par l’enfer, plus personne ne fait attention aux hurlements quotidiens, coups de feu et à cette odeur tenace que les fleurs de l’éden tentent de masquer. Quant à ce bruit de fond issu de la machine génocidaire digérant les corps brûlés, on ne l’entend plus. Ni ignorance, ni déni, mais de l’acceptation.  

Soit l’impossibilité de représenter la Shoah au cinéma. Des plans fixes d’une froideur extrême marque la distance afin d’éviter toute empathie envers les bourreaux face à des victimes que l’on ne verra jamais. Les seules larmes coulées sont celles du bébé et l’unique « Je t’aime » prononcé s’adresse à un cheval. En caméra thermique, effet plutôt superfétatoire, on nous raconte l’histoire d’une petite résistante. Après avoir enfourné la sorcière, Gretel sème des pommes avec l’espoir de ravitailler ceux qui vont crever.

Dans ce contexte, les détails les plus anodins soulignent l’horreur de la situation. Ce sont ces rideaux que l’on n’a pas pu obtenir aux enchères, ces cendres que l’on dépose au pied des plantes pour les embellir, cette jeune Juive qui doit écarter les jambes. Le malaise se ressent, hérisse le poil et tord l’estomac. Jusqu’au vomissement qui souillera les marches du quartier général…

Sur un fil, le réalisateur tisse un lien audacieux avec le présent rappelant que la banalité de l’indifférence n’est jamais loin de nous. Astiquée, Auschwitz est une nécropole aujourd’hui devenue lieu de mémoire prisé des touristes.  

(8/10)

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« Napoléon » de Ridley Scott

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“La marche de l’empereur”

Le 16 octobre 1793, une foule en révolte applaudit la décapitation de Marie-Antoinette. Un jeune officier de l’armée française assiste en silence à ce spectacle de mort. Son nom, Napoléon Bonaparte.

Le film s’ouvre ainsi sur cette anomalie historique, le gradé n’étant pas à Paris ce jour-là, mais dans le Sud selon les experts. Qu’importe, la scène marque la fin de la monarchie et les débuts discrets d’un nouvel empire. Feuilles de salade accrochées à la chevelure royale, ralentis sur le retentissant Ça ira chanté par Piaf, Ridley Scott, baroque, appuie sur les clichés tricolores, dans la langue de Shakespeare. 

S’ensuivent les étapes importantes de l’ascension de l’Aigle jusqu’à sa chute marquée par l’exil. On retiendra les visuels impressionnants de la campagne d’Égypte, la cérémonie du sacre digne de David, le piège glacé d’Austerlitz et les carrés infranchissables britanniques à Waterloo. Loin de toute portée hagiographique, le cinéaste déboulonne le mythe en dénonçant le sang coulé et la chair à canon dans laquelle il enfonce le doigt. Avant le générique de fin, l’on compte le nombre de tués durant les guerres napoléoniennes.

Le reste n’est qu’une espèce de soap ennuyeux insistant sur la passion amoureuse entre Joséphine et Napoléon, brisée par l’impossibilité d’enfanter ensemble. Le réalisateur anglais prend un malin plaisir à égratigner la puissance du mâle faisant de lui un piètre coucheur, pris en étau entre les cuisses de la grande courtisane, quand il ne pleure pas sa maman. Rien de très excitant dans ce sentimentalisme tiède, figuré par un Joaquin Phoenix mono-expressif.

Le film donne l’impression de feuilleter un beau livre d’images, agrémenté de quelques textes plus ou moins sourcés, mais auquel il manquerait de nombreuses pages et lignes. Ridley Scott réserve sa version longue pour les plateformes, laissant ainsi sur grand écran un goût inachevé.

(5/10)

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« Tirailleurs » de Mathieu Vadepied

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“Casques noirs”

Sénégal, 1917. Bakary, n’ayant pu empêcher l’enrôlement forcé de son fils Thierno, s’engage à ses côtés sous la bannière tricolore. Tous deux se retrouveront bientôt dans le supplice de Verdun.

« Après cette bataille, vous ne serez plus des indigènes, mais des Français ! » hurle-t-on pour galvaniser les troupes. Petit rappel du film de Rachid Bouchareb sur les soldats nord-africains mobilisés lors de la Seconde Guerre mondiale ? Le discours ici défendu s’en rapproche avec cette volonté intrinsèque et justifiée de reconnaissance.

Vif et direct, Tirailleurs ne perd pas de temps pour poser la situation et emmener malgré eux protagonistes et spectateurs sur le terrain. Dans l’enfer des tranchées, les moyens limités empêchant les plans larges, la caméra colle au plus près des combattants, décuplant un aspect immersif et tendu. Sursauts garantis à chaque explosion. L’usage de la langue peul participe également à la crédibilité de l’ensemble. Quelque peu programmatique, le scénario perd de sa puissance narrative sur la longueur même si le renversement hiérarchique entre père et fils est bien trouvé. Face au charisme imposant d’Omar Sy, très impliqué, le jeune Alassane Diong, neveu de l’acteur, paraît parfois trop tendre dans son rôle de chef si fier de ses rouges galons.

S’il ne révolutionne pas le genre, le film a le mérite d’exister. La sincérité de ce travail de mémoire rend hommage à ceux qui, arrachés aux colonies, ont défendu la France. Noirs, comme le souvenir.

(6.5/10)

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« La ruse » (Operation Mincemeat) de John Madden

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“Roman d’espionnage”

En 1943, les troupes alliées envisagent d’attaquer l’Allemagne nazie par la Sicile. Mais comment faire croire à l’ennemi que le débarquement aura lieu en Grèce ?

Si les Français ont opté pour l’absurdité d’une opération Corned Beef, les Britanniques préférèrent parier sur l’authenticité de la « viande hachée ». Histoire vraie donc que cette mission de désinformation improbable et hautement risquée. Il y a pourtant du comique tragique dans l’idée de réveiller un mort pour mieux le tuer ensuite. Il faut trouver un cadavre crédible, le ressusciter en lui inventant une nouvelle vie, avant de maquiller son second décès. Au service secret de Sa Majesté et de Winston Churchill, deux lieutenants remarquables – Colin Firth et Matthew Macfadyen – laissent leur ingéniosité parler. Autour d’eux gravitent toute une chaîne d’espions, maillons complices, qui inspireraient en coulisses un certain Ian Fleming. Dommage que l’élan entraînant de leur action soit freiné par une rivalité amoureuse caduque, rappelant Bridget Jones et ses deux prétendants en mode plus grave.

De facture très classique, mais plutôt bien ficelé, le film nous rappelle aussi qu’une guerre ne se gagne pas uniquement au front.

(7/10)                                                                                        

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« Des hommes » de Lucas Belvaux

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“Les blessures assassines”  

Sans être attendu, Bernard débarque aux soixante ans de sa sœur cadette et sème la discorde. Ancien combattant, il ne s’est jamais remis de l’Algérie.

Il y a le sang qui coule dans les veines et sur les mains. Des souvenirs qui assaillent et ne laissent plus jamais tranquilles, surtout la nuit. Des secrets qui rongent les âmes tristes par leur silence. Une page d’histoire que l’on cherche à déchirer, celle de ce livre encore ouvert. La guerre a fait de ces enfants des hommes… et des fous.

L’entrée en matière est laborieuse avec un gargantuesque Gérard Depardieu filmé au ralenti. Aviné, enragé, il hurle, titube, entravé par plusieurs villageois exaspérés. Grotesque, la scène déclenche gêne ou rires forcés dans la salle. En retrait, les autres acteurs – Catherine Frot, Jean-Pierre Darroussin – ne peuvent s’imposer. Quant aux plus jeunes, figurant le passé, ils déclament parfois leurs lignes de manière mécanique. On craint plus lourd encore quand la voix off prend le relais afin de compléter l’image.

Et pourtant, c’est ainsi que le film s’élève. Les tessitures des comédiens se mélangent en un chœur polyphonique pour soutenir une narration complexe et ses sauts dans le temps. Le vocabulaire de là-bas n’aide pas toujours à la compréhension. Mais le beau texte, issu sans doute du roman éponyme, touche. Il tente de poser des mots sur les maux, sans parvenir à décrire l’indicible, comme Duras et Resnais qui avaient tout et rien vu à Hiroshima. Face aux blessures assassines, Depardieu, qui reprend couleurs et hauteurs par sa seule voix, énonce : « Je ne peux le raconter ».

(6/10)

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« Mulan » de Niki Caro

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(Film Disney+) “Chinoiserie”

Alors que son père, malgré son âge et son handicap, est contraint de rejoindre l’armée impériale afin de combattre l’envahisseur, Mulan, sa fille aînée, décide de prendre sa place. Au milieu d’hommes, la jeune femme dissimulée sous l’armure devra se révéler aux autres et à elle-même pour s’élever.

Il n’y a hélas pas grand-chose à sauver dans cette nouvelle adaptation en prises de vues réelles d’un des dessins animés les plus réussis de la maison-mère. Couleurs saturées, scènes de combat aux effets dépassés – il y a 20 ans, Tigre et dragon de Ang Lee faisait bien mieux –, comédiens engoncés. On s’ennuie ferme devant près de 2 heures de chinoiseries anglophones sans âme ni émoi. Qui plus est, l’absence de Mushu le dragon, remplacé par un phénix apathique, enlève tout l’humour magique à l’œuvre. Aurait-elle gagné à être projetée sur un grand écran de cinéma ? Même pas certain.

(4.5/10)

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« Jojo Rabbit » de Taika Waiti

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“La führer de vivre”                                                    

Encouragé par son ami imaginaire Adolf, le chétif Johannes, dit Jojo, est fier et heureux d’appartenir aux Jeunesses hitlériennes. Mais quand il découvre que sa propre mère cache une Juive dans la maison, toutes ses certitudes se craquellent.

Il fallait oser transformer le nazisme en conte initiatique pour enfants. Adaptant un roman, le réalisateur néo-zélandais s’élance couillu dans l’aventure, allant jusqu’à s’afficher dans le rôle du moustachu à la mèche grasse. Pour le meilleur et pour le rire, pourrait-on dire. Alors certes l’équilibre entre le comique et le drame le plus sombre n’est pas toujours trouvé, le film peinant à maintenir la cadence. Quant aux images d’archives du début, elles suscitent par comparaison un certain malaise. Mais l’ensemble évoque le cinéma de Wes Anderson et son regard sur l’innocence enfantine entremêlée de gravité. Des moments de poésie se dégagent aussi dans les scènes où Scarlett Johansson tente d’expliquer la vie à son fils. Au final, le lapereau Jojo plaira peut-être davantage aux plus jeunes, nécessitant néanmoins un accompagnement adulte pour leur rappeler que l’histoire n’a rien d’une farce.

6.5/10

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« 1917 » de Sam Mendes

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“Bienvenue en enfer”                                                 

6 avril 1917. Sur le front franco-allemand, les lignes de communication sont coupées. On charge alors les soldats Blake et Schofield de livrer un message au-delà des lignes ennemies afin d’empêcher le massacre de 1600 soldats britanniques. Mission impossible ?

Bienvenue dans les cercles de l’enfer ! Les tranchées asphyxiantes, les barbelés incisifs, les souterrains piégés où les rats deviennent des bombes à retardement, ce désert putréfié par la chair humaine et animale, les cerisiers coupés, l’avion descendu, la lame de l’adversaire, le village en flammes et les cadavres flottants du Styx. La guerre est traîtresse assassinant même la jeunesse survivante.

Construit à partir d’un seul plan-séquence illusoire, le film nous entraîne au plus près de ces messagers, héros malgré eux. Gadget pour certains, esbrouffe pour d’autres, l’effet immersif qui découle de ce procédé n’en est pas moins saisissant. La caméra, d’une fluidité rare, accompagne les nouvelles recrues MacKay et Chapman dans leur pensum, parfois devant, souvent derrière ou à leurs côtés. En jouant sur les décors, l’éclairage et le son, l’homme de théâtre Sam Mendes varie le formel et rapproche le tout de l’horreur et du fantastique. Tel un cauchemar éveillé, il nous propose une expérience éprouvante à l’intensité rare qui ne peut laisser indemne.

9/10

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